samedi 27 octobre 2007

Sollers 2

La thèse que pose Nietzsche pour finir est la suivante : puisque la plèbe est en haut aussi bien qu’en bas, et ça va continuer de plus belle, il faut une aristocratie d’esprit. Mais en quoi la noblesse consiste-t-elle désormais ? Blog de Sollers
*
Je me suis abonné au blog Sollers et j'imagine que c'est Sollers qui y parle (écrit). En fait, il fait beaucoup de copier-coller, quoiqu'il s'efforce aussi de bloguer. Le lisant, me sentais-je moi aussi partie de cette aristocratie de l'esprit à laquelle il me faudrait appartenir? En ai-je la noblesse ? En ai-je l'esprit?
*
La force de Sollers est toujours de remettre en cause la littérature, d'en convoquer les fondements. Voir sans voir, c'est-à-dire lire et entendre, et entendant, voir ce qui ne peut être vu.
Le fondement de la littérature étant de remettre en cause, puisque c'est l'art de la fiction, de dire la vérité par la fiction rend le réel fictif, l'auteur étant inclus dans ce jeu... comme maître de jeu?
*
Lecture de Paradis 2, quelques beaux moments, des phrases toujours claires, une énonciation atomistique, chaque mot disposé pour foudroyer (vous voulez être Juliette?). J'ai été surtout marqué par l'apparition de Virgile dans le texte et puis ces moments de pur bonheur, quand la chape du discours social tombe ( la chape de la parodie tombe – pour devenir paradis). Dire para. L'art de Sollers : ce nouveau genre littéraire : le paradis. Parodier le discours pour montrer qu'il recouvre ces états de paradis, quand le corps est convié à sa parole véritable, à son réel vibrato. Question de résonnance?
*
L'IRM, série de résonateurs. La longueur d'onde étant déterminée par la longueur de la corde qui relie deux points, l'être à identité multiple résonne de la distance entre ces multiples identités puisqu'il ne peut être un sous le regard de l'autre, il sera plusieurs liés entre eux, qui résonnent. Pouvoir de résonnance, vibrato d'une voix qui en contient l'harmonique de plusieurs. Entre Sollers (Joyeau) et Sollers l'écrivain, premier vibrato.
*
Paradis. Il y donne sa formule de l'être et du néant, de l'infini. Tout cela découle d'une expérience fondamentale.
*
Je dois y lire ce que dit mon fils : il est facile d'écrire des tragédies. Il sera plus difficile d'écrire la Comédie du monde. Pour Sollers, l'art suprême : la paradie.
*
Dans le rythme de Paradis 2, ces longues parodies d'énonciation sociales puis la percée, la trouée, la magnificence de certains moments. Comme dans La recherche, où l'on trouve de longues descriptions des usages sociaux ou des actions des personnages, comme les blasons de Charlus, puis soudain, traversée de la beauté, on pourrait dire poésie, fulgurance de l'instant.
*
Le problème du noble ou de l'aristocrate est qu'il peut avoir la tête tranchée. C'est sûrement mieux du point de vue Sollersien que de ne pas avoir de corps. Je suis assez d'accord. D'autres aussi n'ont ni corps, ni pensée, la faim leur arrache le cerveau. Mais ce n'est pas une idée juste, du moins, équivalente dans le système de Sollers. Mais je ne joue pas franc jeu! Tout chose étant égale par ailleurs, on pourrait dire qu'il est préférable d'avoir la tête tranchée, un jour, que de ne pas avoir de corps du tout, du moins de ne plus posséder ce corps. C'est le pourquoi du crâne de Sollers dans Une vie divine, ce léger paquet d'os qu'il dépose là où il va, là où il se repose. C'est ce crâne d'une tête tranchée par cette révolution avortée, qui aura tué ces aristocrates ( l'étaient-ils encore ( sauf Sade bien entendu)) en même temps que l'idée de l'aristocratie.
*
Une éthique chez Sollers. La constance d'une position.
*
Pour moi Femmes n'a jamais traité que du pouvoir des femmes. Histoire d'un homme qui navigue entre les formes de ces pouvoirs pour y échapper – et les traverser. Comme Ulysse. N'oublions pas Circé. Et Ithaque....
*
Influence de Ponge sur Sollers. Pour Sollers, dans l'écriture de Ponge chaque mot est comme un sculpture sonore, et chaque écrit un mobile fascinant qui a une véritable présence dans le temps. C'est ce que veut affirmer Sollers dans Paradis. Le roman est un espace et un temps dans lequel on entre réellement, puisque l'espace sonore existe, et que son temps est la phrase ( dans le livre – qui n'est pas seulement ce qui est imprimé).
*
Évidemment, Virgile accompagne Dante en enfer, après qu'il soit entré par cette porte dérobée au sein du paysage. C'est ce Virgile qui est dans Paradis. J'ai toujours pensé même après n'avoir lu que des brides de Paradis, que ce livre montrait un enfer et que les livres qui ont suivi nommaient le Paradis. Paradis dit cet enfer qui est ce bloc continu d'une énonciation sociale et sexuelle du corps de laquelle nous pouvons nous échapper parfois, de laquelle il nous faut toujours nous évader.
*
Ce que j'ai affirmé dans Sollers 1 n'est pas tout à fait juste. Pour Sollers la Société ne peut changer, elle restera la même. Pour ce qui est de l'homme ou plutôt de l'humain, le même constat s'applique. L'humain est ce qui sera fabriqué par faute d'individuation de chacun. En ce sens le rapport entre le corps et l'espace sonore, tel que je l'ai défini dans Sollers 1 n'est pas exact. D'une certaine façon le corps est dans la voix, comme écriture. Pour que l'écriture soit un geste total, il faut que le corps y passe en entier, éjecté, selon une dialectique. Nié (éjecté) pour apparaître comme la véritable individuation de celui qui parle, mobile dans le temps, par son corps, mais dans sa voix.
*
«....Au contraire est un oiseau spirituel à animalité de soie et d’acier. » (Blog Sollers, article sur Mozart). C'est ce qui est recherché. Cette animalité tendue. L'homme n'est plus confronté à la nature, il ne peut évoluer : sa pensée s'est arrêtée, s'est encagée. Il lui faut la confrontation directe du corps avec l'abrupt, qui est aussi le temps, qui est aussi la sexualité dans ce qu'elle pourrait avoir de plus incisif ou si l'on veut de plus innocent.
*
«Chaque époque a ses symptômes, la nôtre tourne de plus en plus autour de l’enfant mort, voire du déni de maternité avec mise au congélateur des petits cadavres.» Dans le fonds, Sollers est gentil, il veut le bien de l'humanité – ( c'est surement un être adorable!). Il ne veut pas que nous devenions des machines. Il veut que nous continuions à avoir de vraies mères!
*
«La joie devant la mort contre toute immortalité» Georges Bataille. On retrouve le même mépris de l'immortalité chez Nietsche.
*
«La prise de la Bastille, c'est ce rouleau, dont la disparition faisait pleurer à Sade des « larmes de sang ». Bombe de l'anti-loi, révélation minutieuse de toutes les terreurs et de toutes les horreurs possibles, en abyme, de ce qui est en train de se déchaîner dans l'Histoire, à cette époque et depuis. Puissance du style, ampleur brûlante de l'imagination, composition acharnée de plume et d'encre, météorite ravageant l'hypocrisie millénaire, stupeur.» Philippe Sollers, Blog et Nouvel Observateur.
L'écriture révèle les dessous de l'histoire, les dessous du désir, les dessous de la pulsion de mort, les véritables motifs des gestes, au-delà du discours. L'hypocrisie du crime démasquée par la mise en scène ultime du crime dans le plaisir.
Cet argumentaire se tient, même s’il reste toujours les crimes, les tortures, la douleur. Je pourrais dire que pour moi Sade est un grand écrivain parce qu'il est celui qui met en scène de façon la plus radicale le rapport du plaisir et de la douleur.Il écrit son désir sans concession et il est toujours dans le désir d'écrire. Mais cette aristocratie de Sade est-elle la noblesse dont parle Nietzche, et la volonté de puissance qu'elle exalte est-elle celle de Nietsche?
Sade nous tend un piège, soit à prendre cette fiction pour une réalité, il s'agit d'une représentation et nous sommes toujours sur le point d'y succomber, et on pourrait dire que le monde y succombe chaque jour dans le crime, le meurtre, le sang.
On pourrait dire aussi, comme Levinas, que la conception du rapport du corps et de l'esprit qui se fait jour dans Sade ne peut mener qu'à un désastre social. Mais pour Sollers, le social est un désastre.
En somme, Sollers ne dit pas tout de son rapport à Sade. Cette féroce écriture est une volonté d'érotisation qui mène à une littérature du crime et de la mort. Mystère que n'entame pas tout à fait dans tous ses aboutissements Sollers. Il se réserve une pensée définitive qu'il ne nous livre pas. Il enveloppe Sade de son propre mystère. Il en est en quelque sorte la reliure Pleiade 1982.
*
J'imagine mal Sollers se livrer au travail d'éditer son Blog. Il confie surement le tout à sa secrétaire. Mais ce travail ne fait pas partie de sa description de tâches. Que fait Sollers pour qu'elle accepte d'accomplir ce léger surcroit de travail. Il lui lance des billets doux? Il lui donne du plaisir ? Il l'invite à diner? Je suis surement un pervers. Non, Sollers est un bon garçon, il fait tout lui-même, il ne l'oblige pas à faire ce qu'elle ne veut pas faire. Il la respecte parce qu'il a peur de sa bouche de crocodile. Ou il laisse parfois une note nonchalante sur son bureau : «Vous serez assez gentille pour me bloguer ça, Amandine.» Oui Amandine ! c'est pour les travaux spéciaux, dans la vraie vie elle s'appelle Mireille.

Aucun commentaire: