mercredi 24 octobre 2007

Route et chemin : Kundera

Milan Kundera - routes et chemins

Chemin : bande de terre sur la quelle on marche à pied. La route se distingue du chemin non seulement parce qu'on la parcourt en voiture, mais en ce qu'elle est une simple ligne reliant un point à un autre. La route n'a par elle-même aucun sens; seuls en ont les deux poins qu'elle relie. Le chemin est un hommage à l'espace. Chaque tronçon du chemin est en lui-même doté d'un sens et nous invite à la halte. La route est une triomphale dévalorisation de l'espace qui aujourd'hui n'est plus rien d'autre qu'une entrave aux mouvements de l'homme, une perte de temps.

Avant même de disparaître du paysage, les chemins ont disparu de l'âme humaine: l'homme n'a plus le désir de cheminer et d'en tirer une jouissance. Sa vie non plus, il ne la voit pas comme un chemin, mais comme une route: comme une ligne menant d'un point à un autre, de grade de capitaine à grade de général, du statut d'épouse au statut de veuve. Le temps de vivre s'est réduit à un simple obstacle qu'il faut surmonter à une vitesse toujours croissante.
(...)
Dans le monde des routes, un beau paysage signifie : un ilot de beauté, relié par une longue ligne à d'autres ilôts de beauté.
Dans le monde des chemins, la beauté est continue et toujours changeante: à chaque pas elle nous dit «Arrêtes-toi!».

Milan Kundera, L'immortalité

1 commentaire:

Anonyme a dit...

C'est exactement le passage que je viens de lire dans le rer et que je voulais enregistrer. merci