lundi 5 novembre 2007

Les grands parcs de Nietzche

Il faudra prendre conscience un jour, et vraisemblablement ce jour est-il proche, de ce qui manque avant tout aux grandes villes : des lieux calmes et vastes, de vastes dimensions où méditer, des lieux possédant de longs portiques très spacieux pour le mauvais temps ou l'excès de soleil, où ne pénètre pas le vacarme des voitures et des bonimenteurs et où une bienséance plus raffinée interdise même au prêtre de prier à voix haute : des édifices et des jardins qui expriment comme un tout la sublimité de la réflexion et du cheminement à l'écart. Le temps n'est plus où l'Église détenait le monopole de la médiation, où il fallait toujours que la vita contemplentiva soit complètement vita religiosa : et tout ce que l'Église a bâti exprime cette pensée. Je ne saurais comment nous pourrions nous satisfaire de ses édifices, même si on les dépouillait de leur destination ecclésiastique; ces édifices parlent une langue bien trop pathétique et partiale, en tant que demeures de Dieu et sièges fastueux d'un commerce supramondain pour que nous, sans-dieux, puissions y penser nos pensée. Nous voulons nous être traduits en pierre et en plante, nous voulons nous promener en nous-mêmes lorsque nous parcourons ces portiques et ces jardins.

Nietzche, Le gai savoir

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