Questions au BAPE par un simple citoyen
Chers membres de la commission du Bape chargé d'étudier les impacts environnementaux des gaz de schiste, je vous fais part publiquement de quelques-unes de mes interrogations.
— Comment le BAPE entend-il spécifier les impacts environnementaux de l'exploitation des gaz de schiste en quatre mois alors que l'EPA américaine (Environnement Protection Agency) qui a débuté ses travaux au printemps 2010 ne remettra son rapport sur le même sujet qu'en 2012? Le BAPE dispose-t-il de plus de moyens que l'EPA?
— Le BAPE entend-il étudier sur le terrain les multiples problèmes qu'a causés l'industrie des gaz de schiste en Alberta, en Pennsylvanie et ailleurs aux États-Unis? Entend-elle se rendre sur place pour entendre les citoyens touchés par ces problèmes?
— Le BAPE entend-il poser les différences de situation entre la Colombie-Britannique où l'exploitation des gaz de schistes se fait dans des forêts inhabitées du nord-est de cette province et dans le Québec où elle se ferait en grande partie dans la plaine fertile du St-Laurent, où se trouvent les meilleurs et les plus nombreuses terres agricoles du Québec?
— Le BAPE entend-il mener à lui seul des études géologiques sur la fissuration des sols à long terme suites aux multiples explosions contrôlées (stimulations) par l'éjection sous pression d'eau et de différents composés. Alors que ces études n'existent pas pour le Québec et qu'elles sont rares en général, entend-il être capable de les commander, de les étudier et de les commenter en quatre mois seulement?
— Dans le rapport présenté aux autorités de New York,i on faisait état de fractures latérales entre les couches géologiques découvertes lors de creusage de tunnel d'acheminement de l'eau ou de tunnels, et ce, partout aux États-Unis. Il a été prouvé que les fluides sous-terrains traversent ces fractures. Comment le Bape pourra-t-il garantir que les tonnes de produits chimiques laissées dans les poches d'exploitation de gaz après les multiples fracturations des puits ne migreront pas à long terme vers les nappes aquifères, spoliant l'eau de consommation et de culture, et ultimement les aliments issus de ces cultures? Étant donné que de telles études sur la fissuration et la migration des gaz et de l'eau après fracturation sont très rares, le principe de précaution n'impliquerait-il pas un arrêt immédiat des forages d'exploration?
— Étant donné que les produits de fracturation varient pour chaque forage, le BAPE exigera-t-il la composition réelle et exacte des produits ajoutés lors de chaque forage déjà réalisé au Québec ou à réaliser, y compris les produits qui sont protégés par brevets?
— Le BAPE entend-il étudier la cohérence de la position gouvernementale favorisant l'exploitation des gaz de schiste en regard avec sa politique de développement durable? Quantifiera-t-il l'impact économique de toutes les altérations à l'environnement afin de pouvoir les imputer aux gazières, et ce à long terme?
— Dans un rapport produit pour les autorités de New York, on estimait qu'étant donné la quantité en tonnes émises de produits de fracturation annuellement dans les cours d'eau entourant la ville de New York, il existait un risque réel de contamination de l'eau potable à court et à moyen terme. Pourquoi en serait-il autrement dans les bassins versants du Richelieu, par exemple?
— Dans le même rapport on décrivait ainsi les impacts globaux pour 6000 puits forés et refracturés aux 5 ans : 4,000,000 de tonnes de fluides de fracturation, 27,000,000 de tonnes de résidus liquides éjectés après fracturation, 230 à 340 tonnes de fluides de fracturation par jour à recycler et à éliminer, et 7,200,000 voyages de camion pour transporter tous ces liquides. Le Bape pourra-t-il fournir en quatre mois des chiffres précis sur les volumes estimés pour chaque région et pour l'ensemble des basses terres du St-Laurent?
— Une étude du qui avait analysé les fluides de fracturation utilisés aux États-Unis estimait qu'une bonne partie de ceux-ci pouvaient provoquer des maladies comme le cancer, des maladies du système nerveux et du système de reproduction. Comment et pourquoi le Bape pourrait-il disposer d'études à long terme pour le Québec alors que l'exploitation n'est pas encore commencée? Sur quelles études le Bape s'appuiera-t-il pour répondre à cette question? Et quelles sont les garanties que le Bape donnera qu'à long terme la santé des populations habitant sur les terres exploitées ne sera pas affectée ainsi que celle de tous les habitants des régions dont l'approvisionnement d'eau dépend des bassins versants de ces régions?
— Le Bape garantira-t-elle aux agriculteurs et aux habitants des régions visées un approvisionnement d'eau suffisant, étant donné les millions de tonnes d'eau nécessaires à la fracturation de chaque puits, plusieurs fois durant leur durée de vie,pour des milliers de puits, et ce, dans un contexte de réchauffement climatique?
—Le BAPE se penchera-t-il sur l'application de la loi des mines dans un espace agricole et la modifiaciton nécessaire de celle-ci?
— D'après vous, existe-t-il d'autres états où l'exploitation des gaz de schiste s'est faite sur la principale région dédiée à l'agriculture de cet état? Quelles en seront les conséquences pour l'ensemble du Québec? Le calcul de risque de spoliation de l'eau et de l'air, les modifications de l'habitat ne doivent-elles pas être calculées globalement, en fonction de l'impact possible sur l'ensemble du Québec et non par régions?
— Le BAPE garantira-t-il à long terme à la population locale et agricole que leurs terres et leurs biens ne seront pas dévalués par spoliation environnementale ( sur une durée de trente à soixante-dix années)?
— Quel mécanisme le Bape entend-il proposer pour compenser les habitants des régions visées en cas de catastrophe ou de dégradation de l'environnement? Et ce, à long terme, une fois que les gazières auront quitté les régions d'exploitation?
— De multiples questions se posent sur la qualité de l'air, l'utilisation de l'eau, le recyclage des fluides de fracturation, comment sans tromper la population le Bape entend-il répondre à toutes ces questions en quatre mois? Un tel exercice conduit dans de délais si courts ne risque -t-il pas de miner la réputation du Bape, autrefois considéré comme une référence en terme d'évaluation environnementale? Dans ces conditions les membres de cette commission du Bape ne devraient-ils demander immédiatement un moratoire, le temps pour eux d'accomplir une véritable étude sur tous les impacts de l'exploitation des gaz de schistes?
— Enfin, est-ce que les commissaires accepteraient que dans leur cour s'érige un puits de forage et que des représentants de compagnies minières les menacent d'expropriation en cas de découverte de gisement?
— Suis-je un environnementaliste ou quelqu'un qui s'inquiète à juste titre des conséquences d'une activité minière intensive sur les meilleurs sols agricoles du Québec pour l'exploitation d'une énergie intermédiaire non renouvelable?
Claude Paré, le 3 octobre 2010
mercredi 6 octobre 2010
samedi 2 octobre 2010
La stratégie de la petite salle
Le 28 septembre, j'étais là hier au milieu de ces gens de St-Hyacinthe en danger se faire voler leur territoire, leur passé et leur futur, leur vie construite dans un milieu prêt à être saccagé. Ceux qui les agressent sur leurs terres, par une stratégie habilement élaborée, ont réussi à se faire passer pour les agressés. Les médias ont encore une fois insisté sur la figure de Cailllé, vaillant capitaine luttant au sein d'une assemblée houleuse...
Je me suis tout d'abord approché de la grande salle. J'y ai entendu clairement la brillante question de Christian Vanasse. Dans le corridor se tenait le journaliste de Radio-Canada et la journaliste de TVA qui allait et venait. Dans la salle, en plein désespoir, ils étaient là les groupes « organisés ». La grande majorité des mains claquaient aux longs préambules de citoyens de la région qui étaient autant de questions sur l'éthique, l'intégrité, le respect du citoyen et de l'environnement. Le lendemain c'est de ce bruit dans l'information « pure » dont a parlé André Caillé dans les médias. Notre figure de proue faisait face à un Benoit Dutrisac ou à un autre journaliste sous-informé, incapable de lui demander pourquoi il appelait « groupes organisés » de simples citoyens qui spontanément avaient formé des associations pour réagir aux agissements inquiétants des compagnies. Les firmes de communication qui conseillent les industriels, où travaillent des membres de la famille libérale, n'ont pas compris que les citoyens des campagnes peuvent, de nos jours, s'informer rapidement sur une situation et qu'ils ne sont pas de simples paysans. Et ce, au même moment où les médias ne semblent pas disposer de recherchistes pour transmettre à leurs animateurs le contenu de véritables questions. Sans être journaliste ni enquêteur, il ne m'a pas fallu longtemps, en longeant les corridors, en questionnant quelques « locaux » pour apprendre que des compagnies à la transparence de cristal les menaçaient d'expropriation, qu'ils agissaient de façon vraiment cavalière.
Hier soir, l'industrie était là pour faire sa promotion. Les journalistes, les médias (on dirait d'information) ont gobé la stratégie de l'industrie. Ils ont qualifié de soirée d'information un pitch de vente qui voulait démontrer que l'industrie est transparente, que ses méthodes sont au point et presque sans risques. Mais cette noble mission de transparence est entravée par des opposants, toujours les mêmes, de fortes gueules qu'il faudra mâter. À la même émission de Dutrisac ou à l'émission de Maisonneuve on oubliera de faire préciser à André Caillé que les opposants ne sont pas nécessairement opposés à l'exploitation, mais qu'ils demandent avant tout un moratoire.
À un moment donné de la soirée, j'ai vu une porte s'ouvrir plusieurs fois. Je ne comprenais pas qu'une autre réunion puisse se tenir dans une atmosphère aussi éprouvante. On n’entrait pas facilement dans la petite salle. Il y avait une serrure, mais quand quelqu'on sortait on pouvait y pénétrer. La petite salle n'était pas tellement pleine, mais plus calme. Les questions étaient aussi inquiètes, mais moins politiques et les réponses se voulaient une démonstration de la maîtrise technique de l'industrie. Une seule fois un panéliste a exprimé l'opinion que l'acceptabilité de ce genre de projet dépendant des préoccupations de la population! Stratégie gagnante? Par la stratégie de la petite salle, pour les capitaines d'industrie, il fallait faire la démonstration que les vrais citoyens peuvent entendre les réponses de l' industrie et que ce sont les groupes organisés qui empêchent le dialogue. C'est pourquoi prétextant une atteinte à sa sécurité, André Caillé s'est esquivé de la grande salle au début de la soirée. Le lendemain, il témoignera en toute candeur du calme propre à la communication qui s'empare des petits cénacles bien contrôlés. Si on se demandait pourquoi l'industrie avait eu la générosité d'ajouter deux cents places assises dans la grande salle, c'était tout simplement pour pouvoir affirmer aux médias qu'il y avait un dialogue possible dans les petites salles. Et que des opposants étaient potentiellement violents. Que le désir de transparence de l'industrie était définitivement compromis par ces écologistes qui ne veulent rien savoir. À quelques jours de là, un de nos grands politicologues avait exprimé l'opinion que les écologistes étaient les nouveaux curés d'une nouvelle religion. Les curés et les membres de leurs sectes étaient là, officiant la messe barbare de l'anticapitalisme. À Radio-Canada ce soir-là, le journaliste a bien parlé d'une assemblée formée de citoyens, mais n'a pu, au contraire desjournalistes de l'écrit, faire entendre leurs questions, seulement des hurlements « émotifs ». Ils hurlaient bien sûr, pas tous aussi magnifiquement que Vaillancourt, cependant.
La stratégie de communication des gazières passait par la petite salle. L'expérience dite de la « petite salle » vise à démonter que l'industrie cherche à tout prix à communiquer et qu'elle est empêchée par les mauvais garçons organisés. Oui, l'atmosphère était à couper le souffle dans la grande salle en partie parce que les médias sont incapables de relayer les questions des citoyens et que probablement ils n'ont pas les moyens, les pauvres ( le lendemain on diffusait à Désautels un bon petit reportage sur la hauteur du filet à balles d'un terrain de golf qui empiète sur la zone verte - que de courage pour cette société d'État que l'on qualifie à l'extérieur de Montréal de Montréalocentriste – il est vrai que St-Hyacinthe, ce n'est pas à Montréal) d'aller sur place pour montrer et nommer la réalité. Pourtant, au coeur de ce gâchis «médiatique?» il y a un plan de communication qui semble partagé par un gourvernement en mal de légitimité et de gouvernance. Notre vaillant capitaine ( Le Devoir surtitrait : Gaz de schiste : Dernière épreuve pour André Caillé) l'a lui-même exprimé : une fois la phase principale d'information où l'industrie démontre qu'elle n'agit pas en catimini, le miniBape ( ou pseudoBape) prendra le relais. Pendant ce temps, l'industrie fera des réunions dans de petites salles. Elle ciblera probablement des agriculteurs ou des gens susceptibles par manque de moyens financiers ou par simple appât du gain de leur louer leurs terrains. Les annonces seront locales, les médias « nationaux » qui ont déjà de la difficulté à exposer les problèmes de ceux qui affrontent l'industrie ne s'y intéresseront pas justement parce qu'il y aura peu de chahut. L'industrie n'a pas besoin du support de toute la population, seulement de quelques citoyens et de quelques élus. Les opposants ont été identifiés, on pourra les laisser poiroter à l'extérieur. Ils agiteront des pancartes, cela fera peut-être des reportages ou simplement des images. Bien sûr on les reverra au Bape tous ces gueulards, on parlera d'un débat technique, puisque la raison, le calme est du côté de l'industrie. Celui-ci, heureusement pour l'industrie, sera bref et contrôlé. Les médias nous présenteront le pour et le contre. On fera quelques petits exercices de démocratie confrontative de trois minutes debout au téléjournal de 18 heures à Radio-Canada. Certains commentateurs iront de leurs propos démagogiques - devinez lesquels –, je crois qu'il s'agit d'un groupe de presse très proche de Radio-Canada - sur le manque de compréhension de l'entrepreneurhip des Québécois. On reviendra sur la question de l'omniprésence sacerdotale des écolos à l'eau bénite ou madame Bombardier nous invectivera d'une autre de nos dérives post-relgieuses prolongeant sans le savoir notre indécrottable et noirci inconscient duplessiste et en fin de compte misogyne. Dans toute cette histoire, il faudra que les médias sortent de leur train train quotidien de comptes rendus des actions des corporations et des gouvernements. Qu'ils relaient la parole des citoyens si on ne veut pas que ça aille vraiment mal. Comme le gouvernement est incapable d'entendre la parole de ceux qu'il est censé diriger dans les méandres de ses «Grands Projets », il faudra que les médias analysent la stratégie de désinformation de l'industrie. Et aux animateurs qui ne savent pas quelles questions poser en voici quelques-unes :
— Le gouvernement a donné au Bap un mandat de quatre mois pour étudier la question des gaz de schiste, aux États-Unis la EPA a commencé ses travaux sur la même question au printemps de cette année et compte remettre son rapport en 2012. Comment le Bape pourra-telle accomplir en quatre mois ce que l'EPA pourra difficilement accomplir en 2 ans?
—Le gouvernement de New York a demandé un moratoire sur l'exploitation des gaz de schiste, si un gouvernement d'un état américain fortement capitaliste est capable de demander un tel moratoire pourquoi l'état québécois ne le pourrait-il pas?
— Un moratoire a été promulgué dans l'estuaire du St-Laurent suite à de longues analyses environnementales. Pourquoi la vallée du st Laurent, berceau de la colonisation du Québec et du Canada, milieu complexe où ont lieu de multiples activités humaines, ne demanderait-il pas que l'on prenne le temps d'évaluer l'impact d'une industrie dont on ne connait pas encore tous les tenants et aboutissants?
Pour un animateur de Radio-Canada : —Dans un reportage d'une de nos émissions un expert géologue a affirmé qu'il n'existait pas d'études à long terme sur les risques de fissuration des strates rocheuses provoquée par l'exploitation des gaz de schiste, comme le Bape entend-il les produire en quatre mois, et ce, sans se rendre aux États-Unis?
Etc...
Claude Paré, le 1er octobre 2010 à Montréal
Je me suis tout d'abord approché de la grande salle. J'y ai entendu clairement la brillante question de Christian Vanasse. Dans le corridor se tenait le journaliste de Radio-Canada et la journaliste de TVA qui allait et venait. Dans la salle, en plein désespoir, ils étaient là les groupes « organisés ». La grande majorité des mains claquaient aux longs préambules de citoyens de la région qui étaient autant de questions sur l'éthique, l'intégrité, le respect du citoyen et de l'environnement. Le lendemain c'est de ce bruit dans l'information « pure » dont a parlé André Caillé dans les médias. Notre figure de proue faisait face à un Benoit Dutrisac ou à un autre journaliste sous-informé, incapable de lui demander pourquoi il appelait « groupes organisés » de simples citoyens qui spontanément avaient formé des associations pour réagir aux agissements inquiétants des compagnies. Les firmes de communication qui conseillent les industriels, où travaillent des membres de la famille libérale, n'ont pas compris que les citoyens des campagnes peuvent, de nos jours, s'informer rapidement sur une situation et qu'ils ne sont pas de simples paysans. Et ce, au même moment où les médias ne semblent pas disposer de recherchistes pour transmettre à leurs animateurs le contenu de véritables questions. Sans être journaliste ni enquêteur, il ne m'a pas fallu longtemps, en longeant les corridors, en questionnant quelques « locaux » pour apprendre que des compagnies à la transparence de cristal les menaçaient d'expropriation, qu'ils agissaient de façon vraiment cavalière.
Hier soir, l'industrie était là pour faire sa promotion. Les journalistes, les médias (on dirait d'information) ont gobé la stratégie de l'industrie. Ils ont qualifié de soirée d'information un pitch de vente qui voulait démontrer que l'industrie est transparente, que ses méthodes sont au point et presque sans risques. Mais cette noble mission de transparence est entravée par des opposants, toujours les mêmes, de fortes gueules qu'il faudra mâter. À la même émission de Dutrisac ou à l'émission de Maisonneuve on oubliera de faire préciser à André Caillé que les opposants ne sont pas nécessairement opposés à l'exploitation, mais qu'ils demandent avant tout un moratoire.
À un moment donné de la soirée, j'ai vu une porte s'ouvrir plusieurs fois. Je ne comprenais pas qu'une autre réunion puisse se tenir dans une atmosphère aussi éprouvante. On n’entrait pas facilement dans la petite salle. Il y avait une serrure, mais quand quelqu'on sortait on pouvait y pénétrer. La petite salle n'était pas tellement pleine, mais plus calme. Les questions étaient aussi inquiètes, mais moins politiques et les réponses se voulaient une démonstration de la maîtrise technique de l'industrie. Une seule fois un panéliste a exprimé l'opinion que l'acceptabilité de ce genre de projet dépendant des préoccupations de la population! Stratégie gagnante? Par la stratégie de la petite salle, pour les capitaines d'industrie, il fallait faire la démonstration que les vrais citoyens peuvent entendre les réponses de l' industrie et que ce sont les groupes organisés qui empêchent le dialogue. C'est pourquoi prétextant une atteinte à sa sécurité, André Caillé s'est esquivé de la grande salle au début de la soirée. Le lendemain, il témoignera en toute candeur du calme propre à la communication qui s'empare des petits cénacles bien contrôlés. Si on se demandait pourquoi l'industrie avait eu la générosité d'ajouter deux cents places assises dans la grande salle, c'était tout simplement pour pouvoir affirmer aux médias qu'il y avait un dialogue possible dans les petites salles. Et que des opposants étaient potentiellement violents. Que le désir de transparence de l'industrie était définitivement compromis par ces écologistes qui ne veulent rien savoir. À quelques jours de là, un de nos grands politicologues avait exprimé l'opinion que les écologistes étaient les nouveaux curés d'une nouvelle religion. Les curés et les membres de leurs sectes étaient là, officiant la messe barbare de l'anticapitalisme. À Radio-Canada ce soir-là, le journaliste a bien parlé d'une assemblée formée de citoyens, mais n'a pu, au contraire desjournalistes de l'écrit, faire entendre leurs questions, seulement des hurlements « émotifs ». Ils hurlaient bien sûr, pas tous aussi magnifiquement que Vaillancourt, cependant.
La stratégie de communication des gazières passait par la petite salle. L'expérience dite de la « petite salle » vise à démonter que l'industrie cherche à tout prix à communiquer et qu'elle est empêchée par les mauvais garçons organisés. Oui, l'atmosphère était à couper le souffle dans la grande salle en partie parce que les médias sont incapables de relayer les questions des citoyens et que probablement ils n'ont pas les moyens, les pauvres ( le lendemain on diffusait à Désautels un bon petit reportage sur la hauteur du filet à balles d'un terrain de golf qui empiète sur la zone verte - que de courage pour cette société d'État que l'on qualifie à l'extérieur de Montréal de Montréalocentriste – il est vrai que St-Hyacinthe, ce n'est pas à Montréal) d'aller sur place pour montrer et nommer la réalité. Pourtant, au coeur de ce gâchis «médiatique?» il y a un plan de communication qui semble partagé par un gourvernement en mal de légitimité et de gouvernance. Notre vaillant capitaine ( Le Devoir surtitrait : Gaz de schiste : Dernière épreuve pour André Caillé) l'a lui-même exprimé : une fois la phase principale d'information où l'industrie démontre qu'elle n'agit pas en catimini, le miniBape ( ou pseudoBape) prendra le relais. Pendant ce temps, l'industrie fera des réunions dans de petites salles. Elle ciblera probablement des agriculteurs ou des gens susceptibles par manque de moyens financiers ou par simple appât du gain de leur louer leurs terrains. Les annonces seront locales, les médias « nationaux » qui ont déjà de la difficulté à exposer les problèmes de ceux qui affrontent l'industrie ne s'y intéresseront pas justement parce qu'il y aura peu de chahut. L'industrie n'a pas besoin du support de toute la population, seulement de quelques citoyens et de quelques élus. Les opposants ont été identifiés, on pourra les laisser poiroter à l'extérieur. Ils agiteront des pancartes, cela fera peut-être des reportages ou simplement des images. Bien sûr on les reverra au Bape tous ces gueulards, on parlera d'un débat technique, puisque la raison, le calme est du côté de l'industrie. Celui-ci, heureusement pour l'industrie, sera bref et contrôlé. Les médias nous présenteront le pour et le contre. On fera quelques petits exercices de démocratie confrontative de trois minutes debout au téléjournal de 18 heures à Radio-Canada. Certains commentateurs iront de leurs propos démagogiques - devinez lesquels –, je crois qu'il s'agit d'un groupe de presse très proche de Radio-Canada - sur le manque de compréhension de l'entrepreneurhip des Québécois. On reviendra sur la question de l'omniprésence sacerdotale des écolos à l'eau bénite ou madame Bombardier nous invectivera d'une autre de nos dérives post-relgieuses prolongeant sans le savoir notre indécrottable et noirci inconscient duplessiste et en fin de compte misogyne. Dans toute cette histoire, il faudra que les médias sortent de leur train train quotidien de comptes rendus des actions des corporations et des gouvernements. Qu'ils relaient la parole des citoyens si on ne veut pas que ça aille vraiment mal. Comme le gouvernement est incapable d'entendre la parole de ceux qu'il est censé diriger dans les méandres de ses «Grands Projets », il faudra que les médias analysent la stratégie de désinformation de l'industrie. Et aux animateurs qui ne savent pas quelles questions poser en voici quelques-unes :
— Le gouvernement a donné au Bap un mandat de quatre mois pour étudier la question des gaz de schiste, aux États-Unis la EPA a commencé ses travaux sur la même question au printemps de cette année et compte remettre son rapport en 2012. Comment le Bape pourra-telle accomplir en quatre mois ce que l'EPA pourra difficilement accomplir en 2 ans?
—Le gouvernement de New York a demandé un moratoire sur l'exploitation des gaz de schiste, si un gouvernement d'un état américain fortement capitaliste est capable de demander un tel moratoire pourquoi l'état québécois ne le pourrait-il pas?
— Un moratoire a été promulgué dans l'estuaire du St-Laurent suite à de longues analyses environnementales. Pourquoi la vallée du st Laurent, berceau de la colonisation du Québec et du Canada, milieu complexe où ont lieu de multiples activités humaines, ne demanderait-il pas que l'on prenne le temps d'évaluer l'impact d'une industrie dont on ne connait pas encore tous les tenants et aboutissants?
Pour un animateur de Radio-Canada : —Dans un reportage d'une de nos émissions un expert géologue a affirmé qu'il n'existait pas d'études à long terme sur les risques de fissuration des strates rocheuses provoquée par l'exploitation des gaz de schiste, comme le Bape entend-il les produire en quatre mois, et ce, sans se rendre aux États-Unis?
Etc...
Claude Paré, le 1er octobre 2010 à Montréal
jeudi 18 février 2010
De l'art et et de la culture, anti-manifeste?
«Or la culture d'un peuple, ce sont ses productions artistiques»
Adonis
Le débat sur le multiculturalisme et l'interculturalisme doit nous amener à un débat fondamental sur la culture. Qu'est-ce que la culture? Comment se produit-elle? Existe-t-il dans nos sociétés un dialogue de communautés culturelles qui serait le moteur de la création culturelle au Canada ou au Québec?
Le fondement de la culture, comme en témoigne Adonis, poète Arabe contemporain, ne peut-être la culture elle-même, mais ce qui en forme le contenu, soit l'art et l'expression artistique. Les oeuvres produites par les créateurs d'une société, une fois acceptées, commentées et fréquentées par ses citoyens et ses institutions forment la culture de cette société. Dans les sociétés modernes, l'oeuvre d'art est créée par un individu ou un groupe restreint d'individus.
En créant une oeuvre, l'artiste propose un langage individuel pour décrire une expérience singulière qui sera la plupart du temps communiquée dans le langage commun, mais qui peut aussi être énoncée dans un langage qui peut paraître incompréhensible. Par la création artistique, un individu inscrit ses pulsions, ses mouvements, ses errances et sa pensée unique dans le temps et l'espace. Il propose à la société de nouvelles formes et de nouvelles attitudes. Il s'extrait des a priori de sa culture d'origine pour donner une nouvelle vision du monde, et donc de sa société. Il va au-delà de cette culture dans lequel il est plongé et la transforme. L'art n'est pas reflet du monde, mais transformation du monde. La société se chargera ou non, par le regard de chacune des personnes qui fréquenteront l'oeuvre artistique et à travers les institutions sociales qui la commenteront, de faire en sorte que cette expérience soit accessible, connue et partagée par un plus grand nombre, un élément de la culture commune.
Cette vision de l'art et de la culture s'oppose au multiculturalisme d'état qui édicte que la culture s'édifie à partir du dialogue culturel des groupes définis par leur ethnie et/ou leur religion. Ce dialogue des communautés culturelles produirait de la culture, et nommément la culture canadienne. Selon le point de vue exprimé ici, l'art est le produit de l'individu qui se détache des acquis de sa culture d'origine, quels qu'ils soient, pour les réinventer et les remodeler. L'art implique nécessairement que l'on interroge sa culture d'origine et ses valeurs et de ce fait, l'art n'est pas l'expression d'une communauté. Il y a bien dans les cultures modernes une « tradition », mais elle peut être transgressée ou dépassée, elle n'est pas considérée comme une vérité absolue. Ce n'est pas le groupe ou la société qui parle à travers l'individu, c'est l'individu qui traverse la société et énonce sa différence. Le constant rappel à l'origine ethnique promu par le multiculturalisme ne désigne pas l'individu comme moteur de l'expression artistique qui tend à l'universalité de l'expression de la condition humaine.
Cependant, les créateurs vivent bien dans des sociétés réelles et sont ou non considérés comme des artistes, des créateurs de culture d'une société donnée. La société québécoise a réussi à créer un espace de liberté favorable à la création artistique par une lutte contre l'emprise du clergé qui a pris le nom de Refus global. Elle a su imposer comme langue de création la langue de ceux qui en sont les acteurs majoritaires, soit les parlants français, sans que la création dans la langue anglaise, devenue minoritaire sur son territoire, en soit brimée. Dans cet espace de liberté, des créateurs qui n'étaient pas issus du Québec ou du Canada ont produit des oeuvres de grande qualité. Au Québec, beaucoup d'immigrants choisissent le français comme langue de culture et de vie, certains deviennent des artistes. Ils inscrivent leur oeuvre dans cet espace, sans que ce choix ne soit nécessairement exclusif. La culture au Québec, par ce constant apport de voix nouvelles et leur réception, est en constante évolution. Au Québec, on peut dire que la culture qui en est issue des pratiques artistique est «consommée» et partagée par un grand nombre de personnes.
Pour l'idéologie multiculturaliste (1), la culture québécoise a le même sens et la même valeur que celles des communautés culturelles qui composent la société et qui reflètent les diverses cultures d'origine de ses migrants1. Pourtant, personne n'oserait dire que la culture canadienne-anglaise est un modèle en miniature de la culture anglaise. Pour le multiculturalisme, la culture est toujours la culture du groupe ethnique d'origine, l'expression de ses particularités communautaires et la culture canadienne est le résultat d'un dialogue de ces cultures particulières. Or la conception contemporaine de la culture n'est pas caractérisée par la répétition des attitudes ou des contenus culturels d'origine, mais par le dépassement et la progression des contenus et des formes culturelles par la création artistique individuelle. La société québécoise a adhéré à cette conception de la culture et est devenue un espace vivant de création qui ne tend pas vers une expression ethnique de contenus, mais vers l'expression de valeurs universelles. De plus, dans une culture où les pulsions individuelles sont exprimées librement, les regroupements culturels ne se font plus à partir de valeurs ethniques, mais par rapport aux goûts, aux modes, aux comportements. Dans ces conditions, la notion de communauté culturelle englobe la multiplicité des comportements culturels et des pratiques artistiques. Le pluralisme n'est plus défini à partir de l'ethnicité, mais par rapport à la diversité des pratiques artistiques, des voix créatrices, des manifestations culturelles. La force culturelle et la diversité culturelle d'une société ne peut être mesurée par le nombre des communautés ethniques qui la composent, mais par la diversité des pratiques artistiques, le nombre des créateurs qu'elle abrite et la force de leurs oeuvres, incluant évidemment, celles de ses nouveaux arrivants, qui exposent ou non leur traversée de la société d'acceuil. Les migrants qui quittent leur pays recherchent dans leur pays d'acceuil à vivre dans cette autre culture qui émerge graduellement de l'ensemble des pratiques artistiques. Leur rappeler constamment leur culture d'origine ne comble par leur désir de vivre autrement.
Au Québec tous ceux qui interagissent avec les créations artistiques ont réussi à créer une culture vivante à prédominance francophone. Cet espace de création est en état de déséquilibre constant parce que le statut de la langue française au Québec et au Canada n'est pas fixé, que son cadre juridique est continuellement remis en cause et que bon nombre de migrants québécois choisissent une autre langue de culture que le français. Dans les autres provinces canadiennes, une forte proportion des parlants français, déjà bien intégrés à la société canadienne, ont été assimilés et ont perdu leur langue et leur culture en faveur de la culture d'expression anglaise (2). Pourtant, la politique du multiculturalisme et du bilinguisme d'état visait aussi la sauvegarde de ces «communautés culturelles ». Du point de vue même de l'idéologie multiculturaliste, qui dit favoriser l'intégration et qui bannit l'assimilation, cette politique est un échec cuisant (3). Le choix du français comme langue de culture et de vie au Québec est une question qui se pose constamment au créateur et à celui qui s'établit au Québec. Il comporte un risque, mais il offre au créateur et à l'immigrant la possibilité de participer à la création et la transformation d'une culture qui a réussi à intégrer des voix plurielles et qui peut prétendre à une large diffusion parmi les groupes humains, non pas comme culture d'une ethnie, mais comme celle d'une société ouverte qui veut offrir à ses citoyens toutes les chances de dépasser leur condition d'origine. En ce sens, le manifeste sur le pluralisme (4) , qui définit le pluralisme culturel comme un multiculturalisme d'expression des groupes ethnoreligieux n'est pas en accord avec la définition de la culture exprimée ici qui se veut un dépassement et une transformation de la culture d'origine par l'expression individuelle qui conduit à la création d'une pluralité de pratiques et de voix, de comportements et d'attitudes, librement énoncées.
Un autre problème se pose à la société québécoise, non pas frontalement, mais de bais, comme elle se pose à toutes les sociétés occidentales modernes, soit la montée de l'intégrisme et de l'Islamisme. Ces deux mouvements tendent à contrer la liberté d'expression de l'individu et à l'enfermer dans les dogmes d'une culture religieuse contraignante. Cependant, ces mouvements ne sont pas le seul fait des nouveaux arrivants, mais aussi de convertis. C'est pourquoi il faut détacher la lutte contre l'intégrisme et l'Islamisme de la question de l'immigration. Ces deux phénomènes doivent être combattus comme des mouvements politiques globaux qui ne sont pas liés à des populations en particulier. Ce sont des mouvements idéologiques dont il faut à tout prix minimiser la portée pour conserver cet espace de liberté qui permet l'émergence de l'art, une culture ouverte sur le monde comme la culture québécoise, qui se renouvelle constamment grâce à l'apport de ses artistes. Faut-il rappeler la citation de Gabrielle Roy qui orne le billet de vingt dollard canadien?
(1) «As part of a nation-building strategy to create a common Canadian identity that embraced everyone—including Québécois—Weinstock said multiculturalism was really a political tool to diffuse political expression from all cultures. Multiculturalism said Québécois were different, but so is everyone else, and by giving up distinctness all cultures in fact gained a much larger stage and greater resources on which to affirm their own identities.
http://culturecanada.gc.ca/keyrefsearch.cfm?query=multicultural&pr=CHRWALK&prox=page&rorder=500&rprox=500&rdfreq=500&rwfreq=500&rlead=500&sufs=0&order=r&mode=Advanced&cq=&lang=fre&cmd=context&id=47b9cad520
(2) « Le pluralisme est taxé de relativisme, de multiculturalisme trudeauiste, de «chartisme», d'antinationalisme, d'élitisme, etc. Mais loin de tous ces «ismes», la position pluraliste considère que les membres des minorités ne doivent pas être victimes de discrimination ni d'exclusion sur la base de leur différence, et l'intégration des immigrants à la société québécoise ne doit pas exiger une assimilation pure et simple. » Manifeste pour un Québec pluraliste
(3) Dans le modèle multiculturel, les minorités francophones ne croissent pas, puisqu'elles n'intègrent pas les nouveaux immigrants, par contre les minorités ethniques issues de l'immigration récente augmentent en nombre. Au Canada Anglais, quoi qu’on en dise, les migrants parlent ou parleront la langue anglaise et consommeront les oeuvres artistiques de langue anglaise produites au Canada ou aux États-Unis. Au Québec, la proportion des migrants qui adoptent la langue de la majorité francophone est d'environ 50%.
(4) « Le gouvernement de Stephen Harper s’interroge sur la pertinence de remplacer progressivement le vocable “multiculturalisme” par “pluralisme” dans le vocabulaire fédéral » (Blog de Chantale Hébert)
Claude Paré, artiste
Adonis
Le débat sur le multiculturalisme et l'interculturalisme doit nous amener à un débat fondamental sur la culture. Qu'est-ce que la culture? Comment se produit-elle? Existe-t-il dans nos sociétés un dialogue de communautés culturelles qui serait le moteur de la création culturelle au Canada ou au Québec?
Le fondement de la culture, comme en témoigne Adonis, poète Arabe contemporain, ne peut-être la culture elle-même, mais ce qui en forme le contenu, soit l'art et l'expression artistique. Les oeuvres produites par les créateurs d'une société, une fois acceptées, commentées et fréquentées par ses citoyens et ses institutions forment la culture de cette société. Dans les sociétés modernes, l'oeuvre d'art est créée par un individu ou un groupe restreint d'individus.
En créant une oeuvre, l'artiste propose un langage individuel pour décrire une expérience singulière qui sera la plupart du temps communiquée dans le langage commun, mais qui peut aussi être énoncée dans un langage qui peut paraître incompréhensible. Par la création artistique, un individu inscrit ses pulsions, ses mouvements, ses errances et sa pensée unique dans le temps et l'espace. Il propose à la société de nouvelles formes et de nouvelles attitudes. Il s'extrait des a priori de sa culture d'origine pour donner une nouvelle vision du monde, et donc de sa société. Il va au-delà de cette culture dans lequel il est plongé et la transforme. L'art n'est pas reflet du monde, mais transformation du monde. La société se chargera ou non, par le regard de chacune des personnes qui fréquenteront l'oeuvre artistique et à travers les institutions sociales qui la commenteront, de faire en sorte que cette expérience soit accessible, connue et partagée par un plus grand nombre, un élément de la culture commune.
Cette vision de l'art et de la culture s'oppose au multiculturalisme d'état qui édicte que la culture s'édifie à partir du dialogue culturel des groupes définis par leur ethnie et/ou leur religion. Ce dialogue des communautés culturelles produirait de la culture, et nommément la culture canadienne. Selon le point de vue exprimé ici, l'art est le produit de l'individu qui se détache des acquis de sa culture d'origine, quels qu'ils soient, pour les réinventer et les remodeler. L'art implique nécessairement que l'on interroge sa culture d'origine et ses valeurs et de ce fait, l'art n'est pas l'expression d'une communauté. Il y a bien dans les cultures modernes une « tradition », mais elle peut être transgressée ou dépassée, elle n'est pas considérée comme une vérité absolue. Ce n'est pas le groupe ou la société qui parle à travers l'individu, c'est l'individu qui traverse la société et énonce sa différence. Le constant rappel à l'origine ethnique promu par le multiculturalisme ne désigne pas l'individu comme moteur de l'expression artistique qui tend à l'universalité de l'expression de la condition humaine.
Cependant, les créateurs vivent bien dans des sociétés réelles et sont ou non considérés comme des artistes, des créateurs de culture d'une société donnée. La société québécoise a réussi à créer un espace de liberté favorable à la création artistique par une lutte contre l'emprise du clergé qui a pris le nom de Refus global. Elle a su imposer comme langue de création la langue de ceux qui en sont les acteurs majoritaires, soit les parlants français, sans que la création dans la langue anglaise, devenue minoritaire sur son territoire, en soit brimée. Dans cet espace de liberté, des créateurs qui n'étaient pas issus du Québec ou du Canada ont produit des oeuvres de grande qualité. Au Québec, beaucoup d'immigrants choisissent le français comme langue de culture et de vie, certains deviennent des artistes. Ils inscrivent leur oeuvre dans cet espace, sans que ce choix ne soit nécessairement exclusif. La culture au Québec, par ce constant apport de voix nouvelles et leur réception, est en constante évolution. Au Québec, on peut dire que la culture qui en est issue des pratiques artistique est «consommée» et partagée par un grand nombre de personnes.
Pour l'idéologie multiculturaliste (1), la culture québécoise a le même sens et la même valeur que celles des communautés culturelles qui composent la société et qui reflètent les diverses cultures d'origine de ses migrants1. Pourtant, personne n'oserait dire que la culture canadienne-anglaise est un modèle en miniature de la culture anglaise. Pour le multiculturalisme, la culture est toujours la culture du groupe ethnique d'origine, l'expression de ses particularités communautaires et la culture canadienne est le résultat d'un dialogue de ces cultures particulières. Or la conception contemporaine de la culture n'est pas caractérisée par la répétition des attitudes ou des contenus culturels d'origine, mais par le dépassement et la progression des contenus et des formes culturelles par la création artistique individuelle. La société québécoise a adhéré à cette conception de la culture et est devenue un espace vivant de création qui ne tend pas vers une expression ethnique de contenus, mais vers l'expression de valeurs universelles. De plus, dans une culture où les pulsions individuelles sont exprimées librement, les regroupements culturels ne se font plus à partir de valeurs ethniques, mais par rapport aux goûts, aux modes, aux comportements. Dans ces conditions, la notion de communauté culturelle englobe la multiplicité des comportements culturels et des pratiques artistiques. Le pluralisme n'est plus défini à partir de l'ethnicité, mais par rapport à la diversité des pratiques artistiques, des voix créatrices, des manifestations culturelles. La force culturelle et la diversité culturelle d'une société ne peut être mesurée par le nombre des communautés ethniques qui la composent, mais par la diversité des pratiques artistiques, le nombre des créateurs qu'elle abrite et la force de leurs oeuvres, incluant évidemment, celles de ses nouveaux arrivants, qui exposent ou non leur traversée de la société d'acceuil. Les migrants qui quittent leur pays recherchent dans leur pays d'acceuil à vivre dans cette autre culture qui émerge graduellement de l'ensemble des pratiques artistiques. Leur rappeler constamment leur culture d'origine ne comble par leur désir de vivre autrement.
Au Québec tous ceux qui interagissent avec les créations artistiques ont réussi à créer une culture vivante à prédominance francophone. Cet espace de création est en état de déséquilibre constant parce que le statut de la langue française au Québec et au Canada n'est pas fixé, que son cadre juridique est continuellement remis en cause et que bon nombre de migrants québécois choisissent une autre langue de culture que le français. Dans les autres provinces canadiennes, une forte proportion des parlants français, déjà bien intégrés à la société canadienne, ont été assimilés et ont perdu leur langue et leur culture en faveur de la culture d'expression anglaise (2). Pourtant, la politique du multiculturalisme et du bilinguisme d'état visait aussi la sauvegarde de ces «communautés culturelles ». Du point de vue même de l'idéologie multiculturaliste, qui dit favoriser l'intégration et qui bannit l'assimilation, cette politique est un échec cuisant (3). Le choix du français comme langue de culture et de vie au Québec est une question qui se pose constamment au créateur et à celui qui s'établit au Québec. Il comporte un risque, mais il offre au créateur et à l'immigrant la possibilité de participer à la création et la transformation d'une culture qui a réussi à intégrer des voix plurielles et qui peut prétendre à une large diffusion parmi les groupes humains, non pas comme culture d'une ethnie, mais comme celle d'une société ouverte qui veut offrir à ses citoyens toutes les chances de dépasser leur condition d'origine. En ce sens, le manifeste sur le pluralisme (4) , qui définit le pluralisme culturel comme un multiculturalisme d'expression des groupes ethnoreligieux n'est pas en accord avec la définition de la culture exprimée ici qui se veut un dépassement et une transformation de la culture d'origine par l'expression individuelle qui conduit à la création d'une pluralité de pratiques et de voix, de comportements et d'attitudes, librement énoncées.
Un autre problème se pose à la société québécoise, non pas frontalement, mais de bais, comme elle se pose à toutes les sociétés occidentales modernes, soit la montée de l'intégrisme et de l'Islamisme. Ces deux mouvements tendent à contrer la liberté d'expression de l'individu et à l'enfermer dans les dogmes d'une culture religieuse contraignante. Cependant, ces mouvements ne sont pas le seul fait des nouveaux arrivants, mais aussi de convertis. C'est pourquoi il faut détacher la lutte contre l'intégrisme et l'Islamisme de la question de l'immigration. Ces deux phénomènes doivent être combattus comme des mouvements politiques globaux qui ne sont pas liés à des populations en particulier. Ce sont des mouvements idéologiques dont il faut à tout prix minimiser la portée pour conserver cet espace de liberté qui permet l'émergence de l'art, une culture ouverte sur le monde comme la culture québécoise, qui se renouvelle constamment grâce à l'apport de ses artistes. Faut-il rappeler la citation de Gabrielle Roy qui orne le billet de vingt dollard canadien?
(1) «As part of a nation-building strategy to create a common Canadian identity that embraced everyone—including Québécois—Weinstock said multiculturalism was really a political tool to diffuse political expression from all cultures. Multiculturalism said Québécois were different, but so is everyone else, and by giving up distinctness all cultures in fact gained a much larger stage and greater resources on which to affirm their own identities.
http://culturecanada.gc.ca/keyrefsearch.cfm?query=multicultural&pr=CHRWALK&prox=page&rorder=500&rprox=500&rdfreq=500&rwfreq=500&rlead=500&sufs=0&order=r&mode=Advanced&cq=&lang=fre&cmd=context&id=47b9cad520
(2) « Le pluralisme est taxé de relativisme, de multiculturalisme trudeauiste, de «chartisme», d'antinationalisme, d'élitisme, etc. Mais loin de tous ces «ismes», la position pluraliste considère que les membres des minorités ne doivent pas être victimes de discrimination ni d'exclusion sur la base de leur différence, et l'intégration des immigrants à la société québécoise ne doit pas exiger une assimilation pure et simple. » Manifeste pour un Québec pluraliste
(3) Dans le modèle multiculturel, les minorités francophones ne croissent pas, puisqu'elles n'intègrent pas les nouveaux immigrants, par contre les minorités ethniques issues de l'immigration récente augmentent en nombre. Au Canada Anglais, quoi qu’on en dise, les migrants parlent ou parleront la langue anglaise et consommeront les oeuvres artistiques de langue anglaise produites au Canada ou aux États-Unis. Au Québec, la proportion des migrants qui adoptent la langue de la majorité francophone est d'environ 50%.
(4) « Le gouvernement de Stephen Harper s’interroge sur la pertinence de remplacer progressivement le vocable “multiculturalisme” par “pluralisme” dans le vocabulaire fédéral » (Blog de Chantale Hébert)
Claude Paré, artiste
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