samedi 2 octobre 2010

La stratégie de la petite salle

Le 28 septembre, j'étais là hier au milieu de ces gens de St-Hyacinthe en danger se faire voler leur territoire, leur passé et leur futur, leur vie construite dans un milieu prêt à être saccagé. Ceux qui les agressent sur leurs terres, par une stratégie habilement élaborée, ont réussi à se faire passer pour les agressés. Les médias ont encore une fois insisté sur la figure de Cailllé, vaillant capitaine luttant au sein d'une assemblée houleuse...
Je me suis tout d'abord approché de la grande salle. J'y ai entendu clairement la brillante question de Christian Vanasse. Dans le corridor se tenait le journaliste de Radio-Canada et la journaliste de TVA qui allait et venait. Dans la salle, en plein désespoir, ils étaient là les groupes « organisés ». La grande majorité des mains claquaient aux longs préambules de citoyens de la région qui étaient autant de questions sur l'éthique, l'intégrité, le respect du citoyen et de l'environnement. Le lendemain c'est de ce bruit dans l'information « pure » dont a parlé André Caillé dans les médias. Notre figure de proue faisait face à un Benoit Dutrisac ou à un autre journaliste sous-informé, incapable de lui demander pourquoi il appelait « groupes organisés » de simples citoyens qui spontanément avaient formé des associations pour réagir aux agissements inquiétants des compagnies. Les firmes de communication qui conseillent les industriels, où travaillent des membres de la famille libérale, n'ont pas compris que les citoyens des campagnes peuvent, de nos jours, s'informer rapidement sur une situation et qu'ils ne sont pas de simples paysans. Et ce, au même moment où les médias ne semblent pas disposer de recherchistes pour transmettre à leurs animateurs le contenu de véritables questions. Sans être journaliste ni enquêteur, il ne m'a pas fallu longtemps, en longeant les corridors, en questionnant quelques « locaux » pour apprendre que des compagnies à la transparence de cristal les menaçaient d'expropriation, qu'ils agissaient de façon vraiment cavalière.
Hier soir, l'industrie était là pour faire sa promotion. Les journalistes, les médias (on dirait d'information) ont gobé la stratégie de l'industrie. Ils ont qualifié de soirée d'information un pitch de vente qui voulait démontrer que l'industrie est transparente, que ses méthodes sont au point et presque sans risques. Mais cette noble mission de transparence est entravée par des opposants, toujours les mêmes, de fortes gueules qu'il faudra mâter. À la même émission de Dutrisac ou à l'émission de Maisonneuve on oubliera de faire préciser à André Caillé que les opposants ne sont pas nécessairement opposés à l'exploitation, mais qu'ils demandent avant tout un moratoire.
À un moment donné de la soirée, j'ai vu une porte s'ouvrir plusieurs fois. Je ne comprenais pas qu'une autre réunion puisse se tenir dans une atmosphère aussi éprouvante. On n’entrait pas facilement dans la petite salle. Il y avait une serrure, mais quand quelqu'on sortait on pouvait y pénétrer. La petite salle n'était pas tellement pleine, mais plus calme. Les questions étaient aussi inquiètes, mais moins politiques et les réponses se voulaient une démonstration de la maîtrise technique de l'industrie. Une seule fois un panéliste a exprimé l'opinion que l'acceptabilité de ce genre de projet dépendant des préoccupations de la population! Stratégie gagnante? Par la stratégie de la petite salle, pour les capitaines d'industrie, il fallait faire la démonstration que les vrais citoyens peuvent entendre les réponses de l' industrie et que ce sont les groupes organisés qui empêchent le dialogue. C'est pourquoi prétextant une atteinte à sa sécurité, André Caillé s'est esquivé de la grande salle au début de la soirée. Le lendemain, il témoignera en toute candeur du calme propre à la communication qui s'empare des petits cénacles bien contrôlés. Si on se demandait pourquoi l'industrie avait eu la générosité d'ajouter deux cents places assises dans la grande salle, c'était tout simplement pour pouvoir affirmer aux médias qu'il y avait un dialogue possible dans les petites salles. Et que des opposants étaient potentiellement violents. Que le désir de transparence de l'industrie était définitivement compromis par ces écologistes qui ne veulent rien savoir. À quelques jours de là, un de nos grands politicologues avait exprimé l'opinion que les écologistes étaient les nouveaux curés d'une nouvelle religion. Les curés et les membres de leurs sectes étaient là, officiant la messe barbare de l'anticapitalisme. À Radio-Canada ce soir-là, le journaliste a bien parlé d'une assemblée formée de citoyens, mais n'a pu, au contraire desjournalistes de l'écrit, faire entendre leurs questions, seulement des hurlements « émotifs ». Ils hurlaient bien sûr, pas tous aussi magnifiquement que Vaillancourt, cependant.
La stratégie de communication des gazières passait par la petite salle. L'expérience dite de la « petite salle » vise à démonter que l'industrie cherche à tout prix à communiquer et qu'elle est empêchée par les mauvais garçons organisés. Oui, l'atmosphère était à couper le souffle dans la grande salle en partie parce que les médias sont incapables de relayer les questions des citoyens et que probablement ils n'ont pas les moyens, les pauvres ( le lendemain on diffusait à Désautels un bon petit reportage sur la hauteur du filet à balles d'un terrain de golf qui empiète sur la zone verte - que de courage pour cette société d'État que l'on qualifie à l'extérieur de Montréal de Montréalocentriste – il est vrai que St-Hyacinthe, ce n'est pas à Montréal) d'aller sur place pour montrer et nommer la réalité. Pourtant, au coeur de ce gâchis «médiatique?» il y a un plan de communication qui semble partagé par un gourvernement en mal de légitimité et de gouvernance. Notre vaillant capitaine ( Le Devoir surtitrait : Gaz de schiste : Dernière épreuve pour André Caillé) l'a lui-même exprimé : une fois la phase principale d'information où l'industrie démontre qu'elle n'agit pas en catimini, le miniBape ( ou pseudoBape) prendra le relais. Pendant ce temps, l'industrie fera des réunions dans de petites salles. Elle ciblera probablement des agriculteurs ou des gens susceptibles par manque de moyens financiers ou par simple appât du gain de leur louer leurs terrains. Les annonces seront locales, les médias « nationaux » qui ont déjà de la difficulté à exposer les problèmes de ceux qui affrontent l'industrie ne s'y intéresseront pas justement parce qu'il y aura peu de chahut. L'industrie n'a pas besoin du support de toute la population, seulement de quelques citoyens et de quelques élus. Les opposants ont été identifiés, on pourra les laisser poiroter à l'extérieur. Ils agiteront des pancartes, cela fera peut-être des reportages ou simplement des images. Bien sûr on les reverra au Bape tous ces gueulards, on parlera d'un débat technique, puisque la raison, le calme est du côté de l'industrie. Celui-ci, heureusement pour l'industrie, sera bref et contrôlé. Les médias nous présenteront le pour et le contre. On fera quelques petits exercices de démocratie confrontative de trois minutes debout au téléjournal de 18 heures à Radio-Canada. Certains commentateurs iront de leurs propos démagogiques - devinez lesquels –, je crois qu'il s'agit d'un groupe de presse très proche de Radio-Canada - sur le manque de compréhension de l'entrepreneurhip des Québécois. On reviendra sur la question de l'omniprésence sacerdotale des écolos à l'eau bénite ou madame Bombardier nous invectivera d'une autre de nos dérives post-relgieuses prolongeant sans le savoir notre indécrottable et noirci inconscient duplessiste et en fin de compte misogyne. Dans toute cette histoire, il faudra que les médias sortent de leur train train quotidien de comptes rendus des actions des corporations et des gouvernements. Qu'ils relaient la parole des citoyens si on ne veut pas que ça aille vraiment mal. Comme le gouvernement est incapable d'entendre la parole de ceux qu'il est censé diriger dans les méandres de ses «Grands Projets », il faudra que les médias analysent la stratégie de désinformation de l'industrie. Et aux animateurs qui ne savent pas quelles questions poser en voici quelques-unes :
— Le gouvernement a donné au Bap un mandat de quatre mois pour étudier la question des gaz de schiste, aux États-Unis la EPA a commencé ses travaux sur la même question au printemps de cette année et compte remettre son rapport en 2012. Comment le Bape pourra-telle accomplir en quatre mois ce que l'EPA pourra difficilement accomplir en 2 ans?
—Le gouvernement de New York a demandé un moratoire sur l'exploitation des gaz de schiste, si un gouvernement d'un état américain fortement capitaliste est capable de demander un tel moratoire pourquoi l'état québécois ne le pourrait-il pas?
— Un moratoire a été promulgué dans l'estuaire du St-Laurent suite à de longues analyses environnementales. Pourquoi la vallée du st Laurent, berceau de la colonisation du Québec et du Canada, milieu complexe où ont lieu de multiples activités humaines, ne demanderait-il pas que l'on prenne le temps d'évaluer l'impact d'une industrie dont on ne connait pas encore tous les tenants et aboutissants?
Pour un animateur de Radio-Canada : —Dans un reportage d'une de nos émissions un expert géologue a affirmé qu'il n'existait pas d'études à long terme sur les risques de fissuration des strates rocheuses provoquée par l'exploitation des gaz de schiste, comme le Bape entend-il les produire en quatre mois, et ce, sans se rendre aux États-Unis?
Etc...


Claude Paré, le 1er octobre 2010 à Montréal

3 commentaires:

Anonyme a dit...

Vous trouverez ici des informations et des vidéos sur les réunions dites d'information sur les gaz de schistes et leurs dangers.

Un simple résident de St-Liboire. a dit...

Vous faites une bonne synthèse du défi médiatique devant lequel «méchants les groupes organisés» de citoyens se retrouvent pour informer une population plus aisément distraite par les téléréalités et le hochey. C'est d'autant plus difficile quand une gouvernement ne représente pas les intérêts réels de sa population. Je vous invite à lire mon commentaire de la soirée du 28 septembre ici.

Amie du Richelieu a dit...

J'ai été scandalisée, moi aussi, d'apprendre qu'il y avait 2 salles, et que c'était dans la petite que s'était réfugié AC, celui que je nommerai pas, car, voyez-vous, j'étais là, ce soir-là, à Saint-Hyacinthe, mais je n'ai pas voulu être sous le même toit que lui. Pas bon pour ma pression. J'en fait pas, mais rien qu'à penser à lui et ses gazières, çà monte, çà monte...J'aime bien votre texte, et je partage beaucoup de vos opinions. Bravo!