lundi 31 décembre 2007

Vide et paysage : citation

Voici de la peinture, voici de la pensée. Je suis dans le paysage, le paysage est en moi. Je suis une montagne ou un océan, ou plutôt la montagne et l’océan m’habitent, ils ont une intention profonde. Rien de romantique, il s’agit d’un souffle, d’une énergie, je dois les laisser passer. La peinture est une écriture, je me recueille et j’atteins la « grande simplicité », le « non-séparé ». Je vais être allusif, évasif, libre, à l’aise. En réalité, je pars d’un vide actif, je reste en mouvement, j’arrive à garder tout en vol. Si je fais trop ressemblant, ce sera vulgaire, si je ne fais pas assez ressemblant, je tomberai dans la divagation. Je ne suis ni réaliste ni naturaliste.

Contrairement à ce qu’on m’a appris, la Nature raffole du vide, elle ne demande qu’à se déployer par rapport à lui. Le paysage n’est donc pas un décor, un tableau à recopier, mais un partenaire. Il me charge de parler à sa place, c’est du « spirituel animé ». Le fond est un jeu, il émerge, il s’immerge. Mon temps quotidien est celui des saisons. La société veut détruire ma vie, je la nourris en douce. Plus exactement, les montagnes ou les rivières s’en chargent pour moi. En restant assis près d’une fenêtre, avec une table propre, un pinceau et de l’encre, « j’explore les quatre coins du monde ». Un seul trait de pinceau, et c’est parti. Un seul trait de plume. Du coeur à la main, le poignet est l’organe essentiel. Je ne suis pas prisonnier de mon oeil, un coup yin, un coup yang, je rentre en contact avec ce fameux tao dont on fait un au-delà fumeux alors qu’il est la voie de la respiration elle-même. Shitao : « L’encre, en imprégnant le pinceau, porte à l’animation alerte ; le pinceau, en faisant évoluer l’encre, porte à la dimension d’esprit. » Jullien, qui analyse tout cela de très près, cite Picasso : « Si j’étais né Chinois, je ne serais pas peintre, mais écrivain. J’écrirais mes tableaux. » Bien entendu, nous sommes ici dans la poésie la plus stricte, mais surtout dans le « sans effort » (tian gong). Rien n’est fermé mais je dois sans cesse désobstruer, désobscurcir, ouvrir, éclairer. Ce que je peins, ce que j’écris sera ainsi au-delà de l’encre et du pinceau, et même au-delà des mots. Rien n’est « fini », tout se passe « comme si, sur le papier, naturellement, se produisait une peinture ». Et pourquoi pas comme si, sur le papier, naturellement, un livre s’était écrit ?»

Philippe Sollers

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