jeudi 20 septembre 2007

Marche 2

Je marche et je vois ces arbres dont le nombre m'échappe. Devrais-je dire des arbres au nombre incalculable, indéfini ou encore, comme Borges, des arbres dont on peut dire qu'ils sont en nombre fini. Sur ma route, en nombre fini, ils apparaissent, comme issus de mon regard et de ma pensée, qui les compte, avant qu'un autre regard et une autre pensée ne les voit et ne les compte à nouveau, et ce, indéfiniment. Nécessairement, le nombre de chaque chose qui se pose sous mon regard peut-être calculé, ou faire l'objet d'un calcul. Ce calcul compte les millions de choses qui peuplent cette forêt où je marche et les milliards d'actions de ces plantes, de ces animaux de ces insectes, à chaque instant s'entrelaçant entre elles, formant une toile d'évènements aléatoires à plusieurs dimensions. Ce calcul, qui compte dans sa folie la probabilité de l'action de chaque vivant, qui place les choses à l'endroit où mon regard et ma pensée les rencontrent, se connait-il, comme moi, quand je calcule le nombre de mes pas ou le nombre des arbres qui passent devant moi? Le premier acte de la conscience n'est-il pas de différencier une chose de l'autre et donc de pouvoir les énumérer, en les comptant. Ce calcul est-il conscient de son irrémédiable opération qui s'étend sur toutes les choses depuis le premier chiffre, ce zéro, qui ne se compte pas? Ce calcul fait de tous les gestes de ces vivants de la forêt qui émergent, s'entrelacent et meurent, existe de toute façon, même sans conscience, puisque l'espace et le temps existent et qu'ils peuvent être décrits par une opération mathémathique. Ne sait-il pas, ce calcul, comme moi, la signification éphémère du chiffre trente ou du chiffre mille, ne sait-il pas qu'il compte un nombre défini d'arbres dans la forêt pendant que se poursuit sa marche inexorable, sans moi, qui ai quitté la forêt? Me compte-t-il dans son calcul quand j'arrive sur ce sentier, entouré d'arbres dont le nombre est défini pour un instant dans ce calcul, sous mon regard et ma pensée? Il est comme moi, capable de saisir qu'il calcule et ce calcul même dépassera toujours de beaucoup les possibilités de ma pensée. À chaque instant, dans cette forêt, s'interpénétrant les actions des animaux, des insectes et le vent dans les feuilles. Ces évènements qui s'entrelacent entre eux selon une logique mathématique complexe et aléatoire peuvent être calculés, et ce calcul se produit au moment même où ces évènements surviennent. Il sait qu'il calcule les évènements de cette forêt puisqu'il est les évènements de cette forêt, comme je sais que je marche puisque je suis celui qui marche dans cette forêt, entouré par au nombre parfois indéfini ou parfois fini d'arbres. À chaque instant se poursuit ce calcul infini, en tenant compte de l'aléatoire de ma marche ou de ce loup imaginaire qui broie le cou d'une martre, comptant les possibilités infinies, attachant entre elles leur aléatoire présence, sur toute la forêt et au-delà de ma marche, sur tout l'horizon et au-delà de l'horizon, sur tous les horizons. D'une certaine façon c'est son opération qui me fait surgir sur le sentier, puisque je suis probable, comptant ou non les arbres, moi qui suis incapable de calculer la probabilité simple que telle feuille à l'automne tombe ou non à cet endroit précis du sentier à cet instant, ravissant de son rouge dense ma pensée. Mais si moi, je pourrais calculer et l'aléatoire de ma marche et celui de ces innombrables vivants qui s'entrelacent dans la forêt, je serai ce calcul, qui du zéro a surgi pour y retourner. Pour l'instant, je suis une part de ce calcul, qui ne sait pas comme moi ce que j'écrirai de lui ou de moi avant que je ne l'écrive, mais qui sait que je ferai sous mes doigts surgir un chiffre aléatoire, un hasard qui sera le nombre d'un calcul infini, dès que mes doigts auront cessé leurs mouvements, le surprenant d'un improbable chiffre, qui surgit sans que personne ne l'ait convoqué à bouleverser l'ordre des choses.

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